PUBLISHED IN LAVA MAGAZINE (BELGIUM), 24 SEPTEMBER 2017.
« Je vis dans le futur ! », s’est exclamé en 2015 un de mes amis en apprenant la nouvelle incroyable qu’un groupe de scientifiques chinois avait modifié génétiquement des embryons humains1. Puis, en 2016, la Human Fertilisation and Embryology Authority a donné l’autorisation à des chercheurs de modifier des gènes d’embryons. Au mois d’août de cette année-là, une équipe internationale de chercheurs a révélé, dans un article publié dans le journal scientifique Nature, avoir modifié le gène CRISPR/Cas9 chez des embryons humains viables, afin de corriger une mutation à l’origine de la cardiomyopathie hypertrophique qui est un épaississement des muscles du cœur et la première cause de décès chez les jeunes athlètes.
La culture populaire nous a avertis depuis des dizaines d’années que cela arriverait un jour, depuis Khan Noonien Singh, le tyran génétiquement amélioré de Star Trek, en passant par les romans du cycle de Dune où la faction Bene Gesserit se sert de la reproduction sélective sans jamais le révéler pendant des générations, jusqu’à Bienvenue à Gattaca, histoire se déroulant dans un futur proche et opposant Ethan Hawke à des eugénistes. Si on en juge par les réactions en ligne, truffées de références à des « enfants de synthèse », voire à des « enfants OGM », il n’est pas interdit de penser que ce n’est désormais plus de la fiction. Un autre de mes amis a tout simplement posté : « C’est la réalité. C’est vraiment la réalité. »
En toute honnêteté, nous sommes encore loin de pouvoir utiliser ces techniques de traitement des maladies humaines, et encore plus d’ « amélioration » humaine. Néanmoins, cette annonce surprenante signifie bien que nous devons à présent passer d’une discussion relevant de la science-fiction à un débat public aussi vaste que possible, car le sujet se profile plus tôt que prévu, même si nous avons encore le temps avant que le super-messie Kwisatz Haderach ( Dune ) ne soit créé. Poussés par ce nouveau développement en Chine, et afin de discuter de la marche à suivre, des scientifiques et des éthiciens se sont rassemblés au siège de la National Academy of Sciences, à Washington DC, quelque temps plus tard cette année-là, lors d’un sommet2 international historique. Ils n’ont pas demandé d’interdiction, mais ont tout de même appelé à la prudence3. Ils ont décidé que la recherche préclinique de base devait continuer, mais qu’il serait irresponsable de procéder à des applications cliniques tant que la fiabilité n’est pas démontrée et tant qu’un « large consensus sociétal » continue d’exister à l’encontre de ces recherches. Cela semble logique.
Certains membres de la gauche, en particulier les écologistes, joueront certainement un grand rôle dans la construction de ce consensus, comme cela a été le cas avec le développement de l’opposition malheureusement générale aux OGM, une peur infondée tellement puissante qu’elle a réussi à ralentir considérablement le progrès dans ce domaine, surtout en Europe. Nous devrions vraiment nous inquiéter du fait qu’une réaction aussi irréfléchie risque de dominer à nouveau les débats à l’encontre d’une technologie qui pourrait grandement soulager la souffrance humaine et améliorer notre existence. L’Institut Worldwatch de Washington décrit4 déjà la modification de gènes humains comme « le prochain champ de bataille du mouvement conservateur international ».
En même temps, ce n’est pas sans raison que dans les débats sur la génétique et sur les technologies de reproduction, les inquiétudes concernant l’eugénisme ne sont jamais très loin, et les chercheurs de Washington en sont bien conscients. En attendant, si ces avancées se voyaient un jour offertes à une minorité, ce serait encore une occasion d’élargir une inégalité déjà intolérable. Le débat doit donc continuer lentement, prudemment et avec humilité.
Les premiers « embryons humains OGM »
En 2015, des chercheurs chinois dirigés par le généticien Junjiu Huang de l’Université Sun Yat-sen de Guangzhou ont annoncé qu’ils avaient modifié les génomes d’embryons humains dans le but de modifier le gène responsable de la bêta-thalassémie, une maladie génétique de l’hémoglobine qui, dans les cas les plus sévères, nécessite des transfusions de sang à vie ou des greffes de moelle osseuse. Selon Huang, l’équipe chinoise a dû publier ses conclusions dans le journal en libre accès Protein & Cell, après un refus de journaux plus connus comme Nature et Science à cause de problèmes éthiques.
En utilisant le processus de modification des gènes CRISPR/Cas9 inventé en 2012, précis, bon marché et facile à utiliser, les chercheurs de Guangzhou n’ont toutefois obtenu des résultats qu’avec une fraction des embryons qui ont survécu. Ils ont déclaré qu’un certain nombre de mutations imprévues avaient pu être identifiées. C’est pour cette raison que les chercheurs eux-mêmes ont déclaré que cette méthode était encore « trop immature », mais qu’ils continueraient à l’utiliser afin de l’améliorer. Ils espèrent que d’autres chercheurs se serviront de leurs découvertes. À peine quelques mois plus tard, le jour même de l’ouverture du sommet sur la manipulation des gènes humains à Washington, un article publié dans le journal Science5 a décrit une amélioration de la technique qui promet une précision considérablement accrue.
L’apparition de ces premiers « embryons humains OGM » a divisé l’opinion. De nombreux chercheurs évoquent la possibilité d’éliminer des maladies héréditaires. Toutefois des critiques, parmi lesquels des chercheurs, accusent les scientifiques de franchir une limite éthique en essayant d’altérer le génome de ces embryons humains -des cellules que, tout comme le sperme et les ovules, on classe, dans le domaine comme « cellules de la lignée germinale » ou cellules reproductives -et pas seulement celui des cellules ordinaires du corps humain, que l’on appelle « cellules somatiques ».
La distinction entre la lignée germinale et la lignée somatique est au cœur du débat. L’annonce concernant les embryons est arrivée seulement quelques jours après qu’un groupe de chercheurs travaillant pour des entreprises de médecine régénérative a publié une contribution dans Nature6, intitulée « Ne modifiez pas la lignée germinale humaine », qui demande un moratoire volontaire de la recherche sur la lignée germinale, au milieu de rumeurs selon lesquelles quelqu’un était sur le point de publier sur ce thème.
Mais pourquoi la lignée germinale est-elle si spéciale ? Les auteurs de la contribution de Nature, en accord avec la plupart des détracteurs de ces recherches, ont deux grands arguments à l’encontre de ces recherches. Le premier étant que toute modification de la lignée germinale, même si elle se dit « thérapeutique sans ambiguïté », mènera inévitablement à des interventions non thérapeutiques : elle ne servira pas seulement à remédier à une maladie et à un handicap, ou à les prévenir, mais bien à améliorer les capacités humaines.